Lundi 15 juillet 2024 à l’aube, au passage à niveau n°74 de la ligne Clermont-Ferrand – St-Etienne, sur la commune de Leigneux, se produit un événement extraordinaire : RIEN. Pourtant, des panneaux annonçant une déviation en raison de travaux sur le passage à niveau à partir de ce 15 juillet étaient toujours en place. Les engins qui devaient être lancés par SNCF Réseau à l’assaut du passage à niveau ne sont pas venus. Que s’est-il passé ?
Un argumentaire fallacieux de SNCF Réseau
Ici, comme pour toute ligne sur laquelle le trafic est suspendu, les éléments de langage de SNCF Réseau sont toujours les mêmes : le passage à niveau est dangereux pour la circulation routière, plus particulièrement pour les cyclistes, et des travaux « d’urgence » s’imposent, à savoir des travaux « d’entretien » du passage à niveau (PN), travaux qui consistent à scier les rails, enlever traverses et ballast et à les remplacer par un enrobé.
Un bel enrobé tout neuf. Curieusement, SNCF Réseau dépense l’argent du ferroviaire pour assurer le confort des automobilistes, leur évitant notamment l’effet dos d’âne et leur permettant donc de rouler plus vite, au détriment de la sécurité.
Mais comme pour les affaires du goudronnage des passages à niveau d’Oyonnax ou du Bd de Doulon à Nantes, et de bien d’autres auparavant, les comptes-rendus de visites opérées auparavant par les agents de SNCF Réseau ne font état d’aucun risque pour la circulation routière, et ne mentionnent pas la question du passage des cyclistes. Et pour cause, les cyclistes ne s’opposent pas au maintien des PN, puisqu’ils bénéficient de leur effet ralentisseur sur la circulation automobile.
Une mobilisation citoyenne efficace
En l’espèce, le rassemblement organisé sur place pour s’opposer au démarrage du chantier par l’association citoyenne LETRAIN634269 (près d’une cinquantaine de personnes), a permis de faire d’intéressantes constatations visuelles. La circulation relativement intense, n’est manifestement pas gênée, ni substantiellement ralentie (d’ailleurs, aucune signalisation n’invite à une prudence particulière en raison de la dangerosité de ce PN. Outre les voitures particulières, on a pu voir passer des poids-lourds, des tracteurs, un car de tourisme, ainsi qu’un peloton d’une trentaine de cyclistes, sans incident ni ralentissement. D’ailleurs, la célèbre course cycliste « Le Critérium du Dauphiné » avait emprunté ce même PN quelques semaines plus tôt, sans que l’état de celui-ci ne retienne l’attention des organisateurs ni ne cause le moindre incident, alors qu’on sait que le niveau d’exigence sécuritaire des organisateurs est particulièrement élevé.
LETRAIN634269 avait invité la presse qui avait répondu présente (Le Progrès, France Bleu, France 3…) pour rappeler la nécessaire remise en service de cette ligne reliant 2 agglomérations de 300 000 habitants (Clermont-Ferrant et St Etienne), qui sont les seules à ce jour en France, avec autant d’habitants, à ne pas être reliées directement entre elles. SNCF Réseau, qui n’a même pas osé venir sur place défendre son point de vue lors de la conférence de presse, prétend que le goudronnage des passages à niveau ne remet pas en question la possibilité de réouverture de la ligne, puisqu’il faudra de toute façon renouveler l’infrastructure hors d’âge. D’un point de vue technique, c’est vrai. D’un point de vue politique et psychologique, c’est tout le contraire.
Goudronner les passages à niveau, c’est afficher symboliquement la disparition définitive de la ligne ferroviaire. Dans l’imaginaire des usagers privés de train, « c’est mort », et pour les élus, il en va de même, ils baissent les bras et ne pensent plus qu’à la future voie verte qui sera servie sur un plateau par SNCF Réseau dont ce n’est pas à l’évidence le rôle. C’est pourquoi, dans toutes les mobilisations pour les réouvertures de lignes, il est primordial de s’opposer aux goudronnages des passages à niveau comme ici à Leigneux dans la Loire.
L’action de la Fnaut au niveau juridique
La Fnaut agit depuis des années sur le sujet par la voie contentieuse. D’abord, certes sans succès, puis en 2014 le goudronnage de passages à niveau par le département de l’Isère sur la ligne Rives – St-Rambert à l’occasion de travaux de voirie routière a donné lieu à une condamnation. Mais c’est le goudronnage des passages à niveau d’Oyonnax, juste après la fin du trafic, qui a donné l’occasion à la Cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon 21-9-23 n°021LY04213) de condamner les goudronnages de PN effectués par SNCF Réseau. La Cour a jugé, comme le soutenait la Fnaut, que le goudronnage d’un PN d’une ligne non déclassée est constitutif d’une contravention de grande voirie, en raison de l’atteinte au domaine public. Et il importe peu que SNCF Réseau en soit le propriétaire (ou aujourd’hui l’affectataire) et présente ces travaux comme de simples travaux d’entretien (qu’ils ne sont pas).
Se prévalant de ce succès de la Fnaut, l’association LETRAIN634269 a ainsi réussi à faire admettre à SNCF Réseau que « le chantier du PN74 (…) implique un risque juridique ». SNCF Réseau a même admis l’illégalité de son opération de goudronnage, tout en indiquant qu’elle aurait néanmoins lieu en 2025, contredisant ainsi l’urgence affichée.
L’argument financier de SNCF Réseau, selon lequel il faut économiser les deniers publics, et qu’un goudronnage coûte moins cher que le remplacement du platelage des PN ne tient pas, puisque ces platelages sont encore
En fait, c’est précisément le contraire, SNCF Réseau dépense inutilement de l’argent pour goudronner des PN qui ne le nécessitent pas, dans le seul but de faire admettre aux populations et aux élus que cette ligne est définitivement enterrée.
Il faut espérer que grâce à la jurisprudence Fnaut et à la mobilisation exemplaire de l’association LETRAIN634269 sur la section suspendue depuis le 24 mai 2016 entre Thiers et Boën-sur-Lignon (ligne Clermont-Ferrand – St-Etienne), les associations de défense des usagers comme de l’environnement s’opposeront plus fréquemment à ces opérations de « sabotage organisé », afin que SNCF Réseau respecte les lois protectrices du domaine public, lui imposant son entretien et non sa destruction. Car de nombreuses réouvertures de lignes sont aujourd’hui nécessaires, et bien moins coûteuses, tant sur le plan économique qu’écologique, que des aménagements routiers équivalents.
Article paru dans le Fnaut infos n°309, écrit par Xavier Braud