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Liaisons interrégionales et transfrontalières : manque de dessertes et risque de démembrement ferroviaire (Dominique Romann)

01 Oct 2019

Plusieurs évolutions structurelles ont concerné le réseau ferroviaire, hors grandes liaisons nationales et internationales :

– La régionalisation déjà ancienne, qui a sauvé une part du réseau ferroviaire français, conjugué au développement des LGV qui ont amené une nouvelle clientèle aux trains, y compris TER via les correspondances.

– Le désengagement progressif de l’État pour l’infrastructure et les liaisons interrégionales sur lignes classiques, concentré sur quelques LGV et sur l’extension du réseau autoroutier, qui concurrence le réseau ferroviaire classique.

– La poursuite de choix d’investissements transport traitant séparément des différents modes, sans prise en compte d’une Stratégie Nationale bas Carbone. Les atouts énergétiques et écologiques du transport ferroviaire ne sont toujours pas comptabilisés dans les choix d’investissement.

Conjugué au manque de moyens, à un opérateur peu motivé pour les lignes secondaires, quelles conséquences cela a-t-il sur les liaisons interrégionales du réseau ferroviaire ? L’état de l’infrastructure et le niveau de desserte permettent de tirer plusieurs conclusions :

– De nombreuses liaisons interrégionales (près de 1500 km) sont en danger et d’autres ont déjà été fermées, en particulier en zone de montagne. Des tronçons à cheval sur les frontières régionales ne trouvent pas de financement pour leur simple maintenance, alors qu’ont parfois été financées des autoroutes parallèles d’accès gratuit ; du développement durable à l’envers.

– Le nombre de services assurés sur les tronçons à cheval sur les frontières régionales est souvent plus faible que sur le reste du réseau. Sur le même kilométrage (1500 km de voies en général double) l’offre serait insuffisante par rapport aux besoins interrégionaux. Si cela s’explique partiellement par le fait que des tronçons transfrontaliers peuvent être moins peuplés, il faut noter que :

1) les régions privilégient, du fait de leurs ressources limitées, la desserte de leur territoire, au détriment des dessertes avec les grandes villes voisines.

2) des régions préfèrent, au lieu de dessertes interrégionales, des offres régionales limitées à la ville « frontière » (avec des correspondances mal assurées avec le TER voisin), comme Amiens Reims, Rennes Nantes par Châteaubriant. Ceci simplifie, de leur point de vue, l’exploitation de leur réseau au détriment de la fréquentation et des usagers.

– Le transfert aux régions de 18 sur 24 des Iignes « Trains d’Équilibre du Territoire » n’amène pas, sauf rares exceptions, de renforcement des dessertes (les moyens sont limités), mais maintiendrait pour le moment celles existantes et contribuerait parfois, par des correspondances imposées, de nouveaux arrêts, à améliorer les dessertes locales, au détriment des temps de trajet des liaisons.

– Les différentes gouvernances régionales auxquelles sont soumises les lignes interrégionales posent problème quand une ligne ou une portion de ligne est considérée comme de moindre intérêt par l’une des régions partenaires. Il n’existe aucune structure, aucune concertation, au niveau de l’État ou de Régions de France pour évaluer le potentiel de la liaison et maintenir une cohérence minimum du réseau, SNCF Réseau, donnant la priorité à la maintenance des voies les plus circulées se mobilise peu pour les voies secondaires.

– La commercialisation des trajets par SNCF Mobilités favorise les trajets TGV. Or les régions face à ce rouleau compresseur agissent sans cadre concerté, désignent leur offre de transport sous des noms particuliers connus des seuls utilisateurs de la région, mettent en place des outils d’information et d’achat particuliers qui ne peuvent contrebalancer cette mainmise. L’avenir des outils régionaux et des lignes interrégionales secondaires demanderait plus de concertation et d’actions communes.

Il y aurait donc au minimum 3000 km de tronçons « frontaliers », soit plus de 10 % du réseau, sous utilisés malgré un potentiel de déplacements birégionaux. Ces 10% insuffisamment utilisés entraînent des contraintes de déplacement pour les usagers et des pertes de trafic sur le reste du réseau. Ceci ne fait que traduire le manque de politique globale de desserte du territoire par le fer, pourtant le mode de transport le plus économe en énergie et en émission de gaz polluants et/ou à émissions de gaz à effets de serre, et le plus à même de répondre aux défis du temps présent (sociaux, énergétiques, climatiques). Si l’État s’engage au cas par cas sur quelques financements en faveur des lignes secondaires, en fonction des pressions subies, l’urgence climatique n’a encore que peu modifié la politique des transports.

Ce constat sur le réseau interrégional est à nuancer pour les liaisons internationales (hors liaisons intermétropoles européennes où les financements étatiques et européens sont mobilisés) :

– Les réseaux sont fréquemment coupés ou sans circulation, du fait des priorités « nationales » des États et des opérateurs publics nationaux, qui se mobilisent d’abord sur les grandes liaisons internationales. Les offres de transport ferroviaire satisfaisantes restent l’exception.

– Les dessertes ferroviaires sont cependant satisfaisantes ou en voie d’amélioration pour les déplacements quotidiens de navetteurs autour d’une grande ville et d’un pôle d’emploi et de services (Luxembourg, Strasbourg, Bâle, Genève). De plus ces pays étrangers concernés sont actifs en faveur du ferroviaire. Dans d’autres cas, les coupures de réseau sont possibles (Nice Turin).

– L’exploitation des liaisons transfrontalières se heurte à la défense des pré-carré des opérateurs historiques (en particulier français) : absence de promotion, lenteur des trains, nombreux retards et suppressions, mauvais référencement dans les moteurs de recherche au profit des TGV, correspondances non assurées, volonté de ne pas concurrencer les liaisons intermétropoles par TGV.

– L’action des régions frontalières (et des associations et habitants) est déterminante dans l’avancement des dossiers. Les États et les opérateurs suivent plus ou moins, tout comme l’Europe.

 

Les pistes d’action :

–       Révision de la fiscalité des transports, pour supprimer les aides et taxer les modes polluants au profit des modes moins polluants. Il faudrait remettre en cause la gratuité d’axes rapides routiers, de fait à la charge de la collectivité nationale. Est-il cohérent parallèlement à une voie ferrée (ligne des Causses) de financer une autoroute et d’en rendre l’usage gratuit (y compris pour les utilisateurs non riverains qui ne participent en rien au développement local) ?

–       Nécessité de passer du simple calcul économique au bilan global intégrant les coûts externes, pour le choix des investissements et des aides au fonctionnement des modes de transport. Le respect des seuls impératifs budgétaires est mortifère…

–       Évolution des schémas directeurs d’axes, pour qu’ils respectent les objectifs globaux et spécifiques à l’axe (tous modes confondus) de baisse des consommations énergétiques et d’émissions, à obtenir en particulier en modifiant les répartitions modales. Arrêt de la politique d’investissement répondant à la demande, augmentant les capacités de tous les modes sur un axe donné.

–       Définition d’un Réseau d’Intérêt National. Prise en charge réelle par l’État (ou l’UE pour les liaisons transfrontalières) de la responsabilité d’assurer la continuité d’une mobilité garantissant un service de base maillant le territoire.

–       Affectation de moyens supplémentaires aux régions pour assurer des fréquences de passage attractives sur les liaisons interrégionales, y compris dans le cas de zones urbaines transfrontalières.

–       Implication plus directe des habitants et des usagers des transports régionaux dans la définition des investissements, qui actuellement est faite par les décideurs politiques et économiques, surtout utilisateurs de modes rapides (avion et parfois TGV) et individuels (voiture). L’exemple suisse montre que la consultation des habitants aboutit à un meilleur compromis mobilité et environnement.

 

Etude : Liaisons interrégionales et transfrontalières : manque de dessertes et risque de démembrement ferroviaire

Résumé de l’étude