Un mois après l’annonce de la liquidation judiciaire de Railcoop, c’est Midnight Trains qui doit jeter l’éponge. Un train privé et disruptif a-t-il sa place sur les rails français ?
Il y a ce fait, aussi sûr qu’une loi gravée dans le marbre européen, que, depuis fin 2021, le marché ferroviaire français s’est ouvert à la concurrence. Peut-on pour autant espérer que de nouveaux acteurs y accèdent ? La question peut sembler étrange alors que des trains de Trenitalia ou de la Renfe sillonnent actuellement une (petite) partie du réseau français.
Reformulons donc l’interrogation : y a-t-il de la place pour des acteurs nouveaux, non soutenus par de l’argent et/ou des garanties publics ? C’est moins sûr et ces dernières semaines jettent un sérieux doute sur cette perspective. 29 avril, Railcoop est placée en redressement judiciaire; un mois plus tard, même punition pour Midnight Trains.
Par-delà la différence des projets, il s’agit de deux initiatives privées françaises montées en mode startup. Et paradoxalement, leurs différences les rapprochent en ceci : des offres originales, si ce n’est disruptives. Pour Railcoop, une SCIC (Société coopérative à intérêt collectif) qui entendait remettre au goût du jour des lignes SNCF inusitées pour le fret et les passagers, avec, en fer de lance le « Bordeaux-Lyon ». Pour Midnight Trains, la volonté de proposer des trains de nuit « quali » reliant de grandes villes européennes.
Les idées étaient belles et il faut s’en féliciter car c’est donc effectivement au stade d’idées que ces projets en restent. « Il y a eu l’ouverture à la concurrence mais les structures, les organismes qui auraient pu vraiment ouvrir le marché n’ont pas été mis en place« , note François Delétraz, devenu récemment président de la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transport).
Plein de rails, peu d’entrées
Dans ces manquements à la création d’un contexte favorable à l’entrée de nouveaux acteurs, il y a la quasi impossibilité de louer des trains ou d’en récupérer de seconde main. Il y a aussi l’obligation d’obtenir des créneaux horaires sur une route données, dont la validation peut durer 2 ou 3 ans, autant de temps où les impétrants doivent tenir leur trésorerie. Deux sérieux obstacles qui font dire à François Delétraz :
Avec des avions en location, des délais d’obtention de slots de quelques mois, c’est beaucoup plus facile de créer une ligne (et une compagnie) aérienne qu’une ligne (et une compagnie) ferroviaire.
Matthieu Marquenet, cofondateur de l’agrégateur ferroviaire Kombo partage cette analyse. Et il ajoute :
Il y a aussi un souci d’un conflit d’intérêt entre SNCF Réseau et SNCF Voyageurs.
Sous-entendu, on l’a bien compris : la première n’a pas un intérêt évident à rendre disponible l’infrastructure sur laquelle elle a la main à des concurrents à la compagnie qui fait partie du même groupe qu’elle.
Pour toutes ces raisons, le ticket d’entrée est très élevé. Il dépend des trains, de leur nombre, de la route, et d’une infinité d’autres facteurs… Mais, pour prendre un exemple concret, le Bordeaux-Lyon « voyageurs » de Railcoop, à raison de 4 ou 5 rotations quotidiennes, nécessitait 11 M€.
Les projets Railcoop et Midnight Trains, tout séduisants qu’ils étaient, comportaient vraisemblablement quelques failles, à la limite, pour certaines d’entre elles, de la béance (l’un des fondateurs de Midnight Trains reconnaît d’ailleurs de la naïveté et de mauvais choix). Mais ces failles sont difficilement évitables quand on s’attaque à des lignes non rentables, quand on érige des modèles inédits.
C’est ce à quoi les nouveaux entrants en sont réduits : inventer des modèles, revivifier le moribond. Car pour les lignes rentables et les modèles classiques, donc, outre la SNCF, Trenitalia, Deutsche Bahn et Renfe y trouvent (tout juste) leur compte. La SNCF de se payer en retour en Italie, Allemagne et Espagne. Un entre-soi qui, pour l’heure, n’a aucune raison de dérailler.